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Extrait d’une Conférence au Museo de Bellas Artes de Caracas, mai 1966        publié dans Dialogue des céramistes

«  Je voudrais maintenant tenter de définir ce que je crois être les règles à partir desquelles le potier devrait aborder son aventure, aller à la recherche de son langage propre. Avant tout, il devra choisi ses ancêtres, je veux dire par là, choisir avec patience et lucidité, dans l’immense variété des techniques et des expressions qui lui sont offertes, celles qui pourront le mieux le nourrir, celles qui lui correspondront, celles qu’il pourra le plus profondément assimiler, jusqu’à en faire les moyens de son expression. Je veux préciser que je n’entends pas par là celles dont il pourra faire une copie plus ou moins fidèle, ou dont il imitera les caractéristiques évidentes, ou dont il tirera une dérivation, plus ou moins proche, mais bien celles qui lui permettront l’acquisition d’une culture de base, l’apprentissage d’une sorte de langage général sans lequel nul ne saurait s’exprimer et encore moins créer le langage de sa propre expression. Tout, ou à peu près tout, a été dit et fait en céramique, à travers les siècles et à travers les civilisations et pourtant, tout, ou à peu près tout, est encore à faire et à dire si l’on veut bien s’appuyer sur l’enseignement du passé pour prendre son élan. Aucune forme d’art de saurait naître, un jour quelconque de notre siècle, dans la tête d’un homme isolé. Nous devons nous choisir nos ancêtres et regarder leurs œuvres avec assez d’intensité pour les voir. Les voir assez pour les comprendre et, les ayant comprises, nous sentir assez forts pour aller de l’avant. Ai-je besoin de dire que le potier devra aussi s’ouvrir à toutes les autres formes de l’art ? La peinture, la sculpture, comme la poésie et la danse, lui seront des sources non moins indispensables à la formation de son expression. 

Ayant ainsi, en quelque sorte, planté ses racines dans le passé, les ayant nourries de la tradition qu’il s’est choisie et de l’art sous toutes ses formes, le potier contemporain devra faire preuve de beaucoup d’exigence et de beaucoup d’honnêteté pour découvrir ce qu’il a à dire et comment il le dira, dans le monde où il vit, dans le temps qui est le sien, et non sous la pression de l’un ou de l’autre, ou comme une concession à l’un ou à l’autre. 

Sachant ce qu’il veut dire, il lui faudra être capable de beaucoup de discrétion. Je disais l’autre jour que la poterie est un art du silence. C’est surtout une musique intime que l’on trahit dès que l’on tente d’en forcer la sonorité. »      

Francine Del Pierre Fance Franck-Dialogue des céramistes
ISBN: 2-909283-89-5