Sélectionner une page

« Le tournage occupe un temps minime dans le destin d’une poterie. Ce passage de l’informe à la forme, du chaos à l’ordre, dure le temps d’un geste. Ce geste peut être de routine mais il peut devenir aussi créatif. Il dépend alors entièrement de la présence à soi-même de l’artisan. 

Cette présence ne va pas forcément de soi. Elle suppose que l’on prenne son temps, si on a la sagesse, parfois le courage, de le prendre. Ce temps qu’il faut apprendre à prendre lorsqu’on est sujet à la précipitation ou lorsqu’on a tendance à faire les choses avant d’être en état de les faire, comme absent ou à côté de soi-même.

Prendre le temps de se représenter par avance son geste, de faire mémoire de ce qu’on va faire, en un temps de silence qui n’a pas la même durée pour chacun, qui peut être le temps d’une lente et profonde respiration ou celui d’une promenade, permettant de se rejoindre avant l’agir. Un temps en dehors de ce temps dont on dit qu’il vaut de l’argent. Comme un acteur de théâtre, le potier s’exprime, s’imprime dans un bref instant de tournage. Cet instant est décisif. Mais si, pour l’acteur, il est un achèvement hors de la durée, pour le potier il est, dans la durée, le premier pas, car le feu va l’incruster dans le temps. Si l’acteur s’accomplit par l’offrande de l’instant à son public, le potier, lui, œuvre dans l’intimité du huis-clos. Il s’en suivra que son offrande se fera également à huis-clos, de la main à la main. La poterie est un art intime.

La face cachée de la terre par Daniel de Montmollin (p.34-35)
ISBN: 978-2-85194-955-4